Antoine Alfroy, étudiant en L2 Lettres Modernes, présente et commente un poème d’Alexandre Montecaggi.
La Soliste Damnée
Par Alexandre Montecaggi
Voici le lien fragile et délicat rompu La lumière s’est égarée dans les ténèbres Je suis la poupée inerte aux rêves désenchantés [5]La danse des exaltés a cessée de résonner Le pas de deux achevés sur une coda triste et amère Les cordes de la félicité ont cédées Aucune mélodie ne peut être jouée Ma voix s’est évadée, je suis La Soliste Damnée [10]Le cœur ensanglanté transpercé de la lance maudite Hélas, nuls espoirs, le rideau est tombé La scène désertée, je gis seule dans l’obscurité malfaisante La bouche muselée, je ne puis crier, je ne puis hurler Je tremble, j’ai peur, j’ai froid ! Je suis si seule [15]Mes yeux rougis pleurent anéantis Je suis enchaînée par l’infernal silence La carcasse dévorée par des larves affamées Le fil a été coupé ! Cruelles déesses du destin Je me retrouve sans lendemains [20]Le soleil ne brillera plus Le feu du ciel ne peut m’embraser, mon foyer n’est que cendres Imprégnée d’une tristesse abyssale, je prie Il ne me reste qu’une infime étincelle Seul Morphée est mon salut [25]Puissé-je me réfugier aux pays des songes Puisse ce royaume devenir réalité En attente du trépas Ô exquis songe divin Infuse mon être pour m’arracher des griffes du cruel chagrin [30]Puissé-je m’y reposer, m’y ressourcer Seule issue de cette existence condamnée
« Il est passé d’un monde à l’autre, de la lumière à l’obscurité »
Une critique de « La Soliste Damnée » par Antoine Alfroy
Je vais vous raconter l’histoire singulière d’Alexandre, un homme de 31 ans, atteint d’une myopathie de Duchenne. Il avait commencé des études de langue japonaise au Patio il y a dix ans dans le but de réaliser son rêve de fouler le pays du Soleil levant. A l’époque en fauteuil roulant, le cœur emplit d’espoir et un goût prononcé pour les études, le futur semblait tracé mais la vie en décida autrement. Les difficultés d’accessibilité, la solitude et la fatigue ont eu raison de son avenir. Après deux années, il finit par arrêter l’université. Les cinq années suivantes, il resta isolé avec le désespoir pour seul compagnon. Puis, un jour de juin 2019, le sort s’acharna. Une insuffisance respiratoire le força à séjourner à l’hôpital. Il dut être opéré pour une trachéotomie. Et hélas, durant une manipulation, sa hanche fut brisée et son séjour dura deux mois de plus. Suite à cet incident, il se retrouva alité dans son studio situé au nord de Strasbourg.
C’est alors que l’écriture et la littérature se mirent en besogne. Alexandre écrivit de nombreux poèmes dont on ressent, à la richesse du vocabulaire, son passé tourmenté. Il m’en a fait lire certains que j’ai trouvé poignants et emprunts de grandes références artistiques et littéraires. Son premier texte publié dans la revue Au pied de la lettre s’intitule “La soliste damnée”. C’est (je l’espère) le début d’une longue série de publications.
La soliste damnée est avant tout un texte autobiographique avec une narration à la première personne « je suis la poupée inerte », vers 4. Certains vers sont inhérents à sa propre vie : « je suis la poupée inerte » vers 4, « je gis seule dans l’obscurité » vers 12, « Voici le lien fragile et délicat rompu » vers 2, « le fil a été coupé » vers 18, « je me retrouve sans lendemains » vers 19, « Ma voix s’est évadée » vers 9. L’idée de lien rompu s’oppose à celle de l’enchaînement : « la bouche muselée » vers 13, « je suis enchaînée » vers 16. Notons que le terme de « poupée » relève d’une grande importance car Alexandre collectionne des poupées. Il est passé d’un monde à l’autre, de la lumière à l’obscurité « Le soleil ne brillera plus/ Le feu du ciel ne peut m’embraser » vers 20-21. Le rêve demeure son seul souhait « Seul Morphée est mon salut / puissé-je me réfugier au pays des songes » vers 24-25. Remarquons ici la dimension onirique avec la personnification du rêve à travers Morphée ainsi que le terme de « pays » comme d’un pays magique loin des contraintes de notre monde.
C’est ainsi que s’achève le texte. La souffrance morale et physique dans laquelle Alexandre baigne depuis des années se reflète brillamment dans ce poème. L’élégance du style, la fluidité du récit ainsi que les vers d’une rare qualité témoignent du pouvoir que possèdent la littérature et l’écriture sur la vie des Hommes. Elles font espérer, même lorsque nous sommes dépossédés de tout.
Merci pour ce poème et pour le sens du commentaire.
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