M. Legendre, M2 LFGC, nous présente quatre tableaux, quatre essais synesthésiques de sa représentation des noms propres et du temps.
Le TLFi définit la synesthésie comme un « phénomène d’association constante, chez un même sujet, d’impressions venant de domaines sensoriels différents ». Je simplifierais en disant qu’un synesthète voit des choses parfaitement abstraites. L’exemple le plus simple, à mon sens, serait celui-ci : lorsque nous rêvons, les images que nous percevons nous paraissent nettes. Or, si vous vous entraîniez, au réveil, à dessiner de manière exacte une scène très précise de votre rêve, vous verriez rapidement que c’est quasiment impossible. Je trouve que représenter et parler de la synesthésie est très similaire.
La synesthésie la plus répandue est celle que les scientifiques appellent « graphe-couleur », celle que j’essaye de représenter. Les lettres, les chiffres, les graphèmes et les unités phonétiques m’apparaissent comme des couleurs, des nuances très spécifiques. Après des petites recherches, j’ai découvert que les quelques artistes ayant essayé de peindre leur synesthésie représentaient une synesthésie « sonore-couleur » ; autrement dit, de peindre leur perception colorée de la musique. J’ai pensé qu’il pouvait être intéressant de tenter de jouer avec la peinture pour essayer de représenter comment marche ma pensée ; l’idée étant d’être le plus objective possible, dans le sens où j’aimerais pouvoir rendre compte le mieux possible de ce que je perçois.
L’entreprise est doublement difficile : d’abord, car nous avons tous une perception mentale de la pensée qui nous est propre et parfaitement impalpable (certains entendent leur propre voix, d’autres une voix extérieure, d’autres rien du tout, par exemple) ; il ne s’agit pas d’un référent mais plutôt d’un signifié. Ensuite parce que la pensée – ou, tout du moins, ma manière de penser – est mouvante. D’autre part, compte tenu que les nuances m’apparaissent très précisément, il est compliqué de trouver le pigment de peinture qui va être le plus proche de ce que je perçois, parce que l’exactitude est impossible.
Ici, je propose quatre tableaux : le premier est ma représentation mentale de la semaine ; le deuxième est mon nom ; les deux derniers sont ma représentation des noms de personnes que je connais.
Time Travel : week(s)
Août 2020, 20 x 40cm, acrylique (pinceau, doigt) sur toile.

L’espace-temps est la deuxième manifestation dont j’essaye de rendre compte. Il m’apparaît toujours sous forme de groupe temporel coloré (la semaine ou l’année entière).

Déclinez votre identité n° 1 : M. M. M. Legendre
Juin 2020, 30 x 40cm, acrylique (doigt, pinceau, truelle) sur toile.
Cet essai est mon tout premier. De fait, il s’agit du plus évident, puisqu’il s’agit de mon propre nom, que je côtoie depuis toujours.
Déclinez votre identité n°4 : Stéphanie.
Septembre 2021, 30 x 40cm, acrylique (doigt, pinceau) sur toile.

Pour Stéphanie, je voulais rendre compte à la fois de l’aspect graphique du prénom et de l’aspect sonore. Le triangle doré au centre a un lien au son [st]. Très bref mais très imposant, il coupe véritablement le nom à la fois d’un point de vue sonore et visuel (d’autant que, graphiquement parlant, il a souvent la même taille qu’une majuscule).

Déclinez votre identité n°5 : Juliette Arnaudet
Septembre 2022, 30 x 40cm, technique mixte sur toile.
Il s’agit du dernier essai. « Juliette » est tendre, liquide, mais solaire. « Arnaudet » est plus lourd et plus long ; cependant, il me semble que [ʒy] de « Juliette » trace son chemin jusqu’au [ɛ] d’ « Arnaudet », qui m’apparaît très drôle et très vert.
Je n’ai jamais suivi de cours de peinture, ce projet n’est que l’envie de jouer avec ma pensée et les pigments. Ceci dit, je n’ai jamais eu l’occasion de réfléchir à la représentation du nom de quelqu’un dont je ne suis pas proche. Si vous êtes intéressé.e et souhaiteriez que je tente votre nom, faites part de votre envie à la direction de la revue. J’en serai très reconnaissante.