Une réflexion de Cindy Martinatto, étudiante en M1 MEEF Lettres.
L’admiration n’est pas un désir matériel éphémère. Elle est un levier intellectuel pérenne.
Cindy Martinatto
« L’ admiration est une subite surprise de l’âme […] » 1 : Descartes n’aurait pas pu trouver plus juste définition. L’ admiration y est décrite comme étant une passion avant tout, soit un état particulier comportant son lot d’inhibitions et de puissances créatrices. Plus encore, l’admiration est une émotion jaillissante et inattendue. Celui qui admire serait alors saisi, captivé par un objet singulier, sans pour autant avoir le choix de cet objet. Car l’ admiration est imposée par une force mystérieuse, incompréhensible et insaisissable. Elle se présente comme une évidence, comme un retournement de l’âme opéré en quelques secondes. On abordera ici la relation admirative unissant deux êtres dont chacun connaît la place de l’autre. Ainsi nous partons du postulat que l’admirant a déjà fait part de son admiration à l’admiré et celui-ci entretient un rôle de guide envers l’admirant.
Aujourd’hui, la notion d’admiration est grandement galvaudée par la vague des nouveaux modèles, incarnés dans les figures de stars ou encore d’influenceurs issus des réseaux sociaux. Rappelons que l’admiration est un sentiment profondément vertueux, allant bien au-delà de la simple convoitise d’une vie aux aspects alléchants (un salaire gagné grâce à des placements de produits, une reconnaissance de la part d’autrui, et ce peu importe la durée ou le prix). Il s’agit là des points qui nous semblent les plus contraires à ce que cherche à éveiller l’admiration. Bien entendu, nous ne pouvons pas restreindre l’entièreté des actions de ces modèles aux seuls côtés péjoratifs présentés ici. Néanmoins, nous souhaitons rendre à César ce qui est à César : l’admiration n’est pas un désir matériel éphémère. Elle est un levier intellectuel pérenne. Par l’admiration, nous nous élevons, nous augmentons nos savoirs et notre propre connaissance de nous-même. C’est à nous, jeunes gens, que l’admiration fait goûter ses meilleurs fruits.
Raison pour laquelle nous nous focaliserons ici sur l’admirant en tant que jeune apprenant en quête de repères auprès de l’adulte admiré. Cette relation singulière nous conduit à nous poser la question suivante : quels effets l’admiration produit-elle sur le jeune admirant? Attardons-nous d’abord sur la puissance créatrice et motivante insufflée par l’admiration.
Le sentiment d’admiration fait naître au sein du jeune apprenant une extraordinaire volonté de dépassement de soi. Cette volonté est ainsi motivée par le souhait d’atteindre ce que possède l’admiré, en tant qu’il est un modèle détenteur d’un savoir élevé. L’apprenant2 (car l’admirant apprend avant tout) voit ses forces grandir. Il les engage alors sur le chemin de la réalisation de son but. La culture devient dès lors l’un de ses objectifs privilégiés et, tel un arbre, elle déploie ses branches jusqu’à des ramifications toujours plus fines. L’esprit quant à lui, semblable à une fleur, éclot doucement, sous les rayons des apprentissages nouveaux. La création quant à elle flamboie à travers les éloges en tout genre adressés au modèle. L’admirant exprime alors son admiration par tous les moyens qui lui viennent au cœur et à l’esprit : poème, lettre, ode ou encore panégyrique, tout est prétexte à clamer sa joie d’admirer une personne digne d’estime.
Parallèlement à cette fièvre créatrice, la connaissance de soi monte crescendo, passant de la découverte d’une motivation et de capacités nouvelles à une remise en question personnelle : puis-je arriver à un tel niveau ? Que dois-je améliorer et comment l’améliorer pour y parvenir ? Ces questionnements amènent certes un lot de doutes, mais ils permettent également une prise de confiance en soi formidable. L’apprenant apprend en effet à se questionner et, ce faisant, il rectifie sa trajectoire, combine ses forces et dépasse ses peurs. Notons que si la motivation est grande et continue, c’est aussi parce qu’une part d’idéalisation réside dans la vision qu’il peut se faire de son modèle. Par son admiration, le jeune apprenant idéalise son modèle jusqu’à en faire une figure quasi parfaite : le modèle sait tout et s’il lui arrive de ne pas pouvoir répondre, sa grâce intellectuelle l’en excuse largement ! Une telle vision naît bien sûr de la haute estime qu’inspire le degré de savoir du modèle. Si nous ajoutons à cela les vertus dont peut être pourvu l’objet admiré telles que la modestie, le respect, l’honnêteté, nous comprenons sans peine pourquoi cet être est sans tache aux yeux de l’admirant. Auréolé de gloire, le modèle est en quelque sorte dépossédé de sa chair : il devient l’idée de la culture même, la plus pure référence intellectuelle à atteindre. Cette sublimation du modèle, par l’admiration, est cependant à double tranchant. Elle fait s’exercer d’une part l’esprit critique de l’apprenant, dans la mesure où celui-ci comparera le poids et la véracité des savoirs de son modèle à l’absence ou aux faibles connaissances d’autrui. Il saura alors distinguer ce qu’est une pensée fine, ou tout du moins, ce qui s’en rapproche le plus. Mais d’un autre côté, une telle exaltation risque fort de voiler la vue de celui qui admire, surtout à un jeune âge. Nous nous accorderons sur le fait que, derrière la figure idéale, se trouve un homme dans ce qu’il est de plus banal. Or ce constat est rarement (sinon jamais) entendu ou compris par la personne qui admire. La raison majeure en est l’aveuglement dans lequel se trouve l’admirant.
La question de l’aveuglement est un point essentiel à aborder en cela qu’il constitue une étape fondamentale pour le jeune admirant. S’il n’est pas vraiment agréable d’en entendre parler, il s’agit pourtant bel et bien d’un élément constituant de la relation admirative. Partant du postulat qu’un jeune étudiant (environ dans la vingtaine) admire un érudit (ce qui suppose déjà un certain âge), la jeunesse de l’admirant fera apparaître chez lui une certaine confusion dans son rapport au modèle. Ainsi, au désir de se cultiver va se joindre le désir de trouver dans son modèle une figure protectrice. Rendu idéal, le modèle deviendrait la figure tutélaire de remplacement, incarnée sous les traits d’un parent potentiel, d’un maître voire d’un dieu. Nous ne pouvons certes pas parler en termes de généralité, mais si nous nuançons notre propos en précisant que des degrés divers existent, nous pouvons supposer nous rapprocher de la réalité. Par ailleurs, cet aveuglement n’est pas nécessairement néfaste. Il peut représenter une bulle protectrice à l’intérieur de laquelle la jeune personne va pouvoir développer sa réflexion critique.
La relation admirative peut constituer un lieu au sein duquel l’apprenant se sent rassuré. Une forme d’immaturité se développe alors, consistant à croire que la personne admirée sera un soutien moral et intellectuel toujours présent pour l’admirant. Or, si à l’instant T ce constat se vérifie, le soutien ne sera pas toujours éternel et ce pour des raisons pratiques. Nous pourrions conclure ici que l’aveuglement auquel est sujet celui qui admire le rend dépendant de l’autre et lui fait perdre toute autonomie intellectuelle. Pourtant, ce cocon imaginaire possède ses vertus, comme celle de développer une autoréflexivité sur son propre sentiment. L’admirant, bien qu’aveuglé, a conscience d’une chose : la puissance de son admiration. C’est cette puissance qu’il va questionner afin d’en saisir les conséquences sur lui-même et sur la personne admirée. Cet espace de réflexion n’appartiendra alors qu’aux deux individus partageant cette relation. Les échanges mutuels auront pour résultat de déciller progressivement le regard du plus jeune et donc d’arriver à une certaine lucidité qui connaîtra, à un moment donné, son point de rupture fondamental : le passage à la maturité.
Le passage à l’âge adulte pour le jeune apprenant est une étape qui oscille entre la douleur et la joie. La première en est le dévoilement de ce qu’est réellement l’objet admiré. Ce dévoilement est, au bas mot, une grande douleur pour l’admirant. C’est le moment où les illusions tombent, où l’être admiré est perçu dans sa simplicité la plus basique qui soit : celle d’un être mortel. La réalité redevient alors ce qu’elle a toujours été, cruellement simple et évidente. Pour le dire trivialement, l’admiré apparaît désormais vêtu d’un jean délavé et d’un polo informe, alors que l’admirant le percevait vêtu d’une toge pourpre et brodée d’or. Cette « révélation » s’explique par le grand facteur qu’est le temps. On ne peut pas attendre du jeune apprenant qu’il sorte seul de l’illusion. Sa réflexion lui permet certes d’avancer, mais elle se retrouve vite confrontée aux bornes irréelles de l’aveuglement. Dès lors, c’est le temps qui fait figure d’allié précieux. L’admirant ne prend conscience de cela qu’au moment où divers événements de sa vie feront office de déclics. Ces événements entreront alors parfaitement en concordance avec tout le cheminement intellectuel et réflexif du jeune apprenant. C’est aussi à ce moment-là que la compréhension du plus jeune vis-à-vis du monde qui l’entoure s’éveille.
Après une telle confrontation avec le réel, nous pourrions supposer que l’admirant reste bloqué à un sentiment de peur profond. Pourtant, c’est bel et bien l’inverse qui se produit. La relation admirative s’achève pour mieux ouvrir l’horizon de l’individu. Passé le choc du réel, la jeune personne comprend à présent non seulement ce qu’est un individu dans toute sa simplicité, mais aussi ce qu’admirer signifie réellement. Sa vision du monde s’en retrouve aiguisée et ajustée. La jeune personne sait désormais quelles sont les conséquences de la relation admirative. La connaissance d’elle-même et du monde acquise grâce à son admiration lui a forgé des armes pour sa vie future. Elle saura ainsi apaiser ses ardeurs et sa fièvre créatrice pour laisser la place à une réflexion plus mesurée sur les êtres et sur ses propres sentiments. C’est un grand pas vers la maturité et l’âge adulte qui s’opère pour celui ou celle qui a un jour admiré véritablement.
Nous dirons donc que le sentiment d’admiration est porteur d’effets hautement bénéfiques sur le jeune admirant. Ce dernier verra son goût pour la culture développé et ses capacités personnelles révélées par son travail acharné pour atteindre son modèle. La remise en question et l’autoréflexivité permettront à l’admirant de faire croître la connaissance des ses propres capacités. Si l’aveuglement est bien présent, il apporte avec lui ses aspects mélioratifs. L’idéalisation d’un être et le désir de protection imaginaire, en tant qu’ils sont des éléments transitoires, font tendre l’admirant vers le dévoilement progressif de la vérité des êtres et du monde. C’est bien parce qu’il y a eu admiration qu’il y a dévoilement et donc compréhension. Ainsi, le jeune admirant ressort de cette relation avec une vision plus fine et plus juste du monde et des êtres qui l’entourent. Je dirai à titre personnel que l’admiration est un sentiment qui touche au sublime. Cette relation a ceci d’exaltant qu’elle offre, lorsqu’elle se termine, la puissance que nous souhaitions atteindre au tout début de son apparition dans notre cœur et dans notre esprit. Mais pour qu’il y ait achèvement, il faut qu’il y ait un début. Je vous souhaite donc de prendre le bon départ et de vous découvrir dans ce merveilleux sentiment qu’est l’admiration.
1 : René Descartes, Les passions de l’âme, Garnier Flammarion, 1998.
2 : Nous tenons à préciser que notre travail ne se focalise sur aucun sexe ni genre. Nous ne parlons qu’en terme générique.