Par Juliette Le Guern.
Un jour de printemps maussade, elle lui écrivit.
Un jour de printemps maussade, elle entra dans sa vie.
Elle ne l’avait pas revue depuis les bancs de l’université. Depuis l’imprévisible, ce corps étranger. La séparation des êtres fut brutale et douloureuse. La distance éloigna les cœurs, les liens de toujours, les liens récents, les liens solides dans le temps. Elle ne l’avait pas revue depuis des mois, et ce jour-là, son horizon changea de voie.
Un jour d’été ensoleillé, elle la retrouva.
Un jour d’été ensoleillé, elle en perdit la voix.
Cette femme avait le visage du mystère, plongée dans ses pensées, dans ses idées impartiales, souvent sévères. Elle vivait libre comme le vent, elle n’était personne et tout le monde en même temps. Indéchiffrable pour les inconnus, l’indéfinissable toujours invaincu. La sagesse habitait dans son regard, maturité profonde. Elle ne parlait jamais au hasard, ses émotions cachées au monde.
Des paroles concises et des envies précises. Elle vivait sur le dos de principes sérieux. Le moindre de ses mots avait un sens rigoureux.
Pour elle, la minutie s’approfondit de jours en jours, la patience se travaille sans détour.
Fascinée par cette femme confiante, elle était intimidée, elle se sentait ignorante. Elle ne voulait point la troubler, elle en était presque distante. Cette femme, indifférente aux futilités, aux maladresses, portait un masque en société pour que personne ne la blesse. Elle semblait parfois dure, souvent intransigeante, et cette part obscure la rendait exigeante.
Femme de l’ombre, le nez dans un grimoire, la flamme sombre face au miroir. L’as de pique qui touche le cœur. L’as de trèfle d’un lointain bonheur. Elle partageait sa tendresse seulement quelques heures. Solitaire affirmée, à la dérive des âmes sensibles. Autoritaire réservée, la déroute indéfectible. Elle préférait le calme des lieux silencieux. Ses réflexions nageaient dans un lac désert.
Elle s’éloignait des rives déjà explorées, sur le ponton de son navire aux motifs détaillés. Elle fuyait la dépendance. Son élégance dansait sur les visages des passants. Une inconsciente connivence, pour un présent teinté de gris, teinté de blanc.
Une nuit d’été étoilée, elle la regarda.
Une nuit d’été étoilée, elle se confia.
Elle marchait entre deux rues, entre les boulevards. A la fois si proche, à la fois inconnue, le plus souvent vêtue de noir. Peu habituée à la lumière, elle cultivait l’ambivalence. Son intérieur, son univers, ne frôlaient jamais l’inconvenance. Incomprise, elle se repliait dans son antre personnel, elle réfléchissait à ses gestes, à ses mots. La franchise ne lui faisait jamais défaut. Dans le regard des autres, elle paraissait souvent austère. Dans un cercle défini, elle délimitait ses repères. Des propos virulents transformaient l’atmosphère. Elle n’invitait que peu de gens à franchir ses frontières. Elle n’invitait que peu de gens à connaître son repaire.
Une nuit d’automne grise, elle l’admira.
Une nuit d’automne grise, elle comprit pourquoi.
Pourquoi cette femme énigmatique poursuivait sa vie sans regarder derrière. Pourquoi cette vision analytique protégeait son palais de verre. Jamais, elle n’était transparente, mais elle n’était pour autant pas méprisante. Elle n’était qu’une intrigue, un défi irrésolu. Elle n’était qu’une femme aux secrets absolus…
Un jour d’hiver où la neige saupoudrait les rues pavées, je la retrouvai.
Un jour d’hiver, sous les flocons de mes pensées, je la regardai.
Je ne l’avais pas revue depuis la fin de l’été, depuis que nos chemins s’étaient séparés. Les corps avaient trop longtemps été enfermés entre quatre murs. Le temps avait refermé certaines blessures. La distance ne nous avait pas éloignées. Elle m’avait révélé sa personnalité, notre lien s’était consolidé, et avec lui, notre complicité.
Un jour d’hiver, je bravai le grand froid.
Un jour d’hiver, son sourire me rassura.
Elle avait la douceur secrète des âmes apaisées, des pensées distraites, mais de sages idées.
Elle vivait libre comme les vagues sur l’océan. Elle était différente, une perle rare sans artifices, une fleur aux pétales d’argent. Elle avait des mains délicates, un regard d’une profondeur envoûtante. Fervente diplomate, son éloquence naturelle vous laissait admiratifs, subjugués, passionnés. Elle habillait son quotidien de mots précis, maitrisés, élaborés. Elle délaissait les multiples étiquettes assignées, imposées par la société. Elle s’aventurait sur les sentiers redoutés, sans craindre de tomber, sans craindre d’échouer. Ses émotions ne dialoguaient qu’avec les rares élus de son cœur, ceux qui la faisaient rire et resplendir. Une franchise appréciée, une loyauté absolue, exemplaire, admirée.
Cette jeune femme portait un masque en société, mais pas dans l’intimité. Lorsqu’elle établissait les fondations de sa forteresse, elle laissait un passage pour les raisonnables, les friands d’allégresse. Quand elle aimait, elle donnait sans compter. Elle semait les grains de vérité, pierres à son édifice, à son royaume enluminé.
Une après-midi de février, je la recroisai.
Une après-midi ensoleillée, je l’étreignis du regard, brisai la distance que l’on connaissait.
Elle était devenue un phare dans la nuit, une étoile filante, chaleureuse, aguerrie.
J’avais à partager mon univers, mes rêves endormis et mes secrets. Elle appartenait au jardin dans lequel je grandissais. A l’écoute de la nouveauté, des émotions d’autrui, elle adoucissait vos jours, apaisait vos douleurs.
Entre hier et aujourd’hui, les peurs s’estompaient, les maux guérissaient, les espoirs retrouvaient de leur ardeur.
Elle n’était plus si loin, elle n’était plus cette inconnue au visage de mystère. Elle ne m’était plus étrangère. Elle avait une tendresse colorée dans ses yeux célestes, magnifiques. Son ascension éblouissait quiconque la trouverait catégorique, égocentrique.
Belle comme un bourgeon dans les champs au printemps. Unique comme un diamant étincelant. Elle était cette lueur, aperçue dans l’obscurité redoutée. Elle était la connaissance, la flamme créative, immortelle, protégée. Enigmatique, charismatique et admirable, indéfinissable, car incroyable.
Les jours de février étaient plus doux, moins mornes à ses côtés.
Les jours de février avaient beaucoup à raconter, révélateurs d’une histoire qui venait à peine de commencer.
Nous devions partir pour mieux fleurir, nous éloigner pour mieux nous retrouver.
2 commentaires sur « 2ème Prix du Concours d’Ecriture de l’AmLet | Enigma »