Par Sidali Taleb, L1 Lettres Modernes.
Adelaïde, il y a en tout temps la rade éternelle d’un printemps
À Adélaïde…
Que ces mots adoucissent tes peines.
1.
Un matin où l’orage dardait les cœurs et la terre, par un temps voisin des rudes saisons que la rareté du froid rend inattendues, une déesse ignorant tout de l’aura cristallin qui l’entourait, dressant fièrement, et pourtant sans vanité un buste où le bronze concourait à l’argent le sublime contraste avec une peau de lait, devisait en douceur avec quelque chérubin vaguement sournois, et cédait en silence à une convoitise qu’elle ne savait repousser.
Les fers couvrant alors son corps de madone scintillaient, accueillant en les purifiant les effrayants reflets de la foudre.
Léon
Je chéris cette fête du ciel pour ce qu’elle consacre ! Ah ! Ces galbes chantent Dieu mieux que tout chœur, et ton armure capte avec concert les fugitives musiques du seigneur ! Enragé qu’il est ! Sa colère ajoute les tons qui manquaient à ton ombre ! Ô belle au silence têtu ! Ton ciel ne me veut point de répit, et pourtant, c’est sous lui que je te propose la vie, Adélaïde ! Celle dont tu ignores jusqu’aux épaves, encore allumées d’un faible printemps…
Adélaïde, il y a en tout temps la rade éternelle d’un printemps…Et de cela, douce Amazone, je voudrais te donner le vent !
Adélaïde
Qu’en toi fusent les eaux énervées du vivant, ça je ne l’ignore point mon ami…De toi se dégage à ma vue l’envie et le sacre charmant d’une vie aux courses folles ! Je le sais, terrible amant de mes jours mal lunés !…
Et cependant que pour toi la vie est donnée par le sourire ou le désir, en moi toute la verdeur qui attend son heure se fane au profit du malheur où me jette, dès avant, le malaise d’être en vie.
De là, rien au dehors ne semble prêt – et remarque ma tranquillité – à accueillir mon désamour, car, paisible, il ne peut être mobile. Au souffle du vent, sa rigidité imite la pose des tombes.
Sa saison est l’hiver où ne passe jamais d’embellie…
Amant de ma peine, vois bien qu’à mon approche, ton ciel, dont tu avais l’azur garni de mousse aux reliefs souriants, se voile du rideau de l’ingrate !
Ah !…La mort me serait un printemps Léon ! M’entends-tu ?…Et cependant je ne le puis pas, je ne le dois pas !
Adélaïde baisse son regard et fixe de maigres pierres calcinées. Sa posture se détend de tristesse, et ses cheveux se peignent d’un vent vorace, intarissable. Ses joues se creusent d’une nouvelle peine, et le sang, en se retirant, doucement, en ôte sa mante rosâtre de fée.
Elle devient terrible et manque à sa grâce.
2.
Léon est petit mais assez vif pour exister pleinement. Son maigre corps arbore en les étirant de chair des cicatrices qui semblent faire valoir son âme.
Le corps est ainsi son secret fidèle, et le pèlerin abrite sous lui un commerce des plus charmants : le corps veut la belle grandeur de l’âme ; et l’âme, quant à elle, cherche à goûter des merveilles fugaces qu’en ses pores, se targue de loger le corps.
Léon discute de l’inclination de sa fuyante destinée :
– Adélaïde, ne t’endors pas ! J’ai à te crier l’existence de biens que nulle voix ne saura dire qu’étonnée !
Adélaïde
Amant ! Ne t’aventure pas à incliner ma douleur ! Elle n’a point de semblable, et toute opposition qu’on lui brandit affermit sa poigne… Conjure ! Amour… Conjure !
Léon
C’est à elle que je voue la plus terrible haine ! Adélaïde ! Je la vois distincte de toi comme les aurores de l’été le sont de la nuit… Comme d’ailleurs ces pupilles dilatées que le ciel, tour à tour, sublime et désavoue.
Adélaïde ! Toutes les plaintes dont ta noirceur est capable, je les balayerai d’un revers d’amour !…J’en sens le feu convoiter ces tronces mauvaises et noires !
Remarque ma fatalité déniaisée. Précise sur mon portrait de chérubin qui te sert le bonze Léon, la moue grisâtre qui parfois voile l’allant égal de mon humeur. Ainsi inégale, ne crois pas qu’il ne m’en vienne jamais de semblables… Ces dépressions du corps, quand les reins s’alourdissent de plomb et la tête de fiel. N’en crois rien, cher amour !
Mes chutes d’humeur n’ont d’égale que la brume que je surprends mon ciel à exalter, quand de toi, il me vient le déplaisir de la vie.
J’ai en moi la bile du dépit, dont l’effet n’attend point de prévenir son mal.
Silence…
…Et cependant j’ai peiné pour la vie Adélaïde !
Quand le matin, la dureté du réveil moleste la ténacité de mon désir et l’énergie de mon envie, je me mets simplement à écouter à l’entour. J’immobilise ma tentation à pleurer la fatigue. Je retiens tout ; j’écarquille au possible les yeux que la peine savamment referme. Je me donne à l’immédiat qui accueille mes pas. Je fonds dans l’inhumanité dont la rage ne tarit pas de ferveur.
Maintenant que j’ai introduit le mot, il me faut lui donner la sensation de ses dards :
Figure-toi une poussée. La levée du buste s’accompagne de spasmes et de crispations légères. Les mains, n’y tenant plus, serrent et se desserrent à tout va. (L’étoffe du drap, la chair rugueuse du matelas…) Un instant, tout te semble goulûment parcourir de caresses tes membres, jusque-là engourdis.
Chaque parcelle de ton corps se lève et salue le flot croissant. La houle brasse l’amertume où ton cœur barbotait son deuil.
Des oiseaux ajoutent au rythme naissant comme une note où l’entrain s’entend par la témérité que te transmet leur liesse. Et alors tu souris, belle Adélaïde ! Tu quémandes la vie des marcheurs, la ferveur te serre à en faire frémir d’amour les membres, jusqu’alors trépassant d’ennui.
Ton corps porte à présent la promesse d’une vie dont l’effusion juteuse te paraît enfin, lisible dans le lointain.
À l’orage de l’humeur se substitue la flamme enchantée des nuits d’amour ; l’ardeur charnelle des réveils sucrés d’un printemps que sacre chaque jour la nature Adélaïde !
J’aime en toi la possibilité du printemps. En toi se voit malgré l’orage un potentiel de ferveur et d’amour de soi.
Au dehors, tu trouveras la raison d’apprendre le goût pour soi.
En inclinant les pentes de ton cœur, dont la noirceur du vertige te confisque à la vie, vers les champs où s’éploient les promesses du désir, les prouesses de la joie, et la certitude du sourire, tu seras aimante, indulgente pour cette misère d’Adélaïde que j’aime tant !… …Ne l’oublie pas !
Adélaïde
Amant chéri ! Je tenterai le printemps qu’au réveil tu me prescris. J’irai voir du côté des belles plaines et des champs heureux que tu chantes si bien. Aie mon mal ! Prends le d’un sourire, et laisse-moi rêver !…
Tu rêveras Adélaïde !